Contre vents et marées. Emmanuel QUENTIN.
Vous voyez cette
peinture ? Elle raconte une multitude d’histoires, des histoires qui se
sont déroulées à différentes époques, sur une échelle de temps qui défie
l’entendement. Certaines d’entre elles sont quelconques et ne méritent pas que
l’on s’y attarde. D’autres, en revanche, sont merveilleuses, drôles ou
tragiques, voire les trois. Il serait trop fastidieux de les révéler toutes ici
et maintenant. Peut-être aurez-vous l’occasion de revenir plus tard, auquel cas
en explorerons-nous de nouvelles.
Mais commençons, je vous devine
impatient. Votre temps est compté, je le sais, et je m’en voudrais de vous
soustraire plus que de raison à vos obligations. Bien. Si vous êtes prêt et
confortablement installé, nous allons débuter par... attendez... voilà, prenons
cet engin, par exemple, le voyez-vous ? En haut du tableau, juste
au-dessus de la pointe de voûte la plus à droite. On ne le distingue pas très
bien, mais, je vous le dis, il s’agit d’une capsule spatiale, échouée sur la
mer gelée de Desténil. Son histoire, celle de sa passagère, surtout, pourrait
commencer ainsi : « Largage. Chute. Complications. Quelques minutes
seulement après s’être harnachée dans le module qui devait l’amener sur le site
archéologique de Cruvire, Sonja Dermille comprit que son évaluation s’avérait
compromise avant même d’avoir débuté. Alors qu’on lui avait assuré que tout se
passerait à merveille – météo OK, Zone d’atterrissage OK, équipement OK, équipe
au sol OK – et que tous les voyants étaient au vert, les éléments se chargèrent
de lui prouver le contraire. »
Vous dites ? La mer a-t-elle
toujours été gelée ? Oh, non, non, bien sûr. Cependant, votre question est
intéressante, car, voyez-vous, cela me fait penser que, des siècles plus tôt,
un navire marchand, le Misiroth,
avait déjà sombré ici, exactement au même endroit. Sa coque avait rompu sous
les assauts répétés de vents déchaînés et de vagues assassines, bien plus
hautes que les falaises des côtes de Ma'hatep. À son bord, pas moins de vingt
matelots et soixante-dix rameurs. Seul l’un d’entre eux a survécu. Aujourd’hui,
il ne reste rien de ce drame, rien si ce n’est, peut-être, un souvenir enfermé
dans un Disque-mémoire accroché au poitrail d’une sculpture prise dans la
glace. Mais pardon, je vais trop vite. Il y a tant de choses à dire, tant de
pistes à emprunter pour évoquer les Forcides. Si d’aventure vous souhaitiez
vous représenter ces êtres amphibiens exceptionnels, fiez-vous à ces statues
aux crânes oblongs et chauves reproduites sur le tableau. Ramenez-les à une
taille proche de la vôtre, ami humain, et l’image que vous en aurez se
précisera sensiblement. Et ne cherchez pas de branchies sur leur tempe ou sur
leur visage, celles-ci recouvraient leur dos de longues entailles en forme
d’étoile. Une douzaine de pédoncules cérébraux d’une trentaine de centimètres
s’en échappaient quand les Forcides communiquaient entre eux sous l’eau. Les
extrémités de ces tiges nervurées faisaient penser à des pétales de tulipes
refermées. À l’intérieur de chacun d’entre eux, trois pistils biseautés, aussi
tranchants que des lames de rasoir, leur permettaient d’inscrire ou de
décrypter des messages sur les coraux, les coquillages et autres rochers
maritimes. Singularité génétique extraordinaire, chaque Forcide possédait la
faculté d’autoriser ou de restreindre la lecture de ses propres écrits à qui
bon lui semblait.
Mais je digresse et vous ne me
rappelez pas à l’ordre ! Alors, oublions le vaisseau, oublions le navire,
et allons à l’essentiel ! Car au fond, si je ne devais raconter qu’une
histoire, ce serait celle de Vygoran l’Éclaireur, adolescent intrépide dont la
curiosité et l’audace ont permis aux siens de se défaire du joug de sombres
fanatiques.
Rien ne prédisposait Vygoran à un
destin glorieux. Chétif, de nature discrète et timide, le Forcide avait suivi
la voie que ses parents avaient tracée pour lui, celle de l’apprentissage. À
l’âge de douze marées – l’équivalent de vos neuf ans environ –, Vygoran devint novice auprès des Prêtres du Principe.
Il quitta son foyer sur les plaines pour intégrer sa nouvelle école, dans les
fonds marins de la mer de Desténil. Les difficultés qu’il rencontra à nouer des
liens avec les autres élèves, il les mit au profit de son instruction. Sa
prodigieuse mémoire se coupla à une soif de connaissances intarissable.
L’adolescent vouait une fascination particulière pour l’histoire de son peuple.
Avant son noviciat, déjà, lors des longues veillées célébrant les nouvelles
marées, Vygoran prisait les récits du Sagemage, en priorité ceux retraçant les
hauts faits des héros Forcides. Sa naïveté n’avait alors d’égale que sa
détermination à devenir à son tour, un jour, le porteur de semblables exploits.
Grisé par ces histoires, il rejouait les périls, s’inventait des ennemis
imaginaires qu’il combattait sur terre aussi bien que sur mer, dans une
succession de mouvements bouillonnants de conviction. Devant ces excès subits
de volubilité, à la fois comiques et touchants, ses parents et ses proches se
moquaient du petit Forcide, d’ordinaire si discret.
Durant les quelques années de
son noviciat, un noviciat avorté, Vygoran fut donc un élève studieux et
appliqué, heureux de son sort. Il n’en voulut pas à ses parents de l’avoir
poussé sur la voie de la Prêtrise. Si l’histoire fit qu’il ne prêta pas
serment, jamais il ne nourrit de regrets pour autant, en aucune circonstance.
Les tortueux chemins que prit son existence, il les accepta tous, sans
exception, et ne remit pas en cause les choix qui guidèrent ses échecs et ses
succès. Parmi eux, il en est un dont les Forcides lui furent reconnaissants
par-dessus tout et, même s’il puise ses racines dans le hasard et la
transgression, il n’en demeure pas moins extraordinaire.
Entre ses leçons, dont il avait déjà
conscience qu’elles s’émancipaient de tout regard critique, et les longues
séances de méditation imposées par les religieux, le jeune homme avait obtenu
de consulter les Disques-mémoire de la bibliothèque du sanctuaire. Pas les
textes fondateurs, bien entendu, ceux-ci reposaient sur les statues des Braves,
dans la nef des exploits et seuls les Hauts Prêtres du Principe étaient en
mesure de les parcourir. Il aurait toujours dû en être ainsi, d’ailleurs,
mais...
Vous voyez où je veux en venir, bien
sûr. Mais il y eut un grain de sable, et ce grain de sable, ce fut Vygoran. Les
choses se firent naturellement, sans aucun calcul de sa part. La faute, ou le
bénéfice, en revient à une simple anomalie génétique.
Un soir où il était resté plus tard
que prévu dans la bibliothèque du sanctuaire, un prêtre l’interpella, et
l’intima à regagner le bassin extérieur au plus vite. L’adolescent lâcha alors
le disque de nacre et nagea vers la surface sans protester tandis que ses
pédoncules se rétractaient en s’emmêlant. L’homme de Principe ramassa l’objet
tombé à terre en se faisant la réflexion qu’en son temps, les novices étaient
bien plus respectueux des outils du savoir. Au moment de ranger le coquillage à
sa place, il suspendit son geste, pris d’un doute. Il le parcourut à son tour
pour vérifier si Vygoran avait pu y avoir accès malgré les verrous apposés à
l’ouvrage. Ses soupçons confirmés, il préféra néanmoins s’assurer ne pas s’être
trompé avant d’en référer à ses supérieurs. C’était tellement incroyable !
Comment le jeune Forcide avait-il pu réaliser pareille prouesse ? Avait-il
eu accès à d’autres textes sacrés ? À d’autres secrets Principaux ?
Dès le lendemain, à la lueur du
petit matin, Vygoran, ainsi que ses parents furent convoqués par les trois
Hauts Prêtres du Principe. L’entretien se déroula rapidement dans une salle
annexe de la chapelle des Oubliés, à l’abri des regards. La pièce ne servait
qu’en de rares occasions, pour des entrevues telles que celle-ci. Tous les
protagonistes flottaient dans l’eau en silence. Les regards des adultes étaient
durs et froids. Vygoran, lui, affichait un air surpris et contrit à la fois. Il
avait été percé à jour. Il avait pêché par excès d’imprudence. La honte allait
s’abattre sur sa famille par sa faute et sans doute devraient-ils s’exiler,
refaire leurs preuves ailleurs, par exigence du Principe. L’entretien fut d’une
rapidité confondante. Les pédoncules s’arrimèrent les uns aux autres et
s’agitèrent un instant, en proie à une intense frénésie. Puis, très vite, ils
se désolidarisèrent et se rétractèrent en sinuant, tels de dociles serpents des
mers. La sentence était tombée, cruelle, injuste, disproportionnée, mais
personne ne se risqua à la remettre en question. Personne sauf Vygoran.
L’adolescent était définitivement exclu du monastère et devait retourner sur la
terre ferme à jamais. Une sanction assujettie à l’interdiction absolue de
sonder les mers de ce monde à nouveau. S’il contrevenait à cette décision, le
jeune homme encourrait une peine bien plus grave. Pour et par le Principe.
La nuit suivante, Vygoran s’échappa
de la masure de ses parents. Incapables de dormir, peut-être l’ont-ils entendu
se faufiler au-dehors. Peut-être même ont-ils souhaité un instant qu’il parte à
jamais ? Telle était son intention, en effet. Il ne souhaitait pas être un
fardeau pour sa famille, mais avant de s’enfuir, il désirait accomplir une
dernière action, non pas par vengeance, mais pour rester en accord avec ce
qu’il avait toujours été, un garçon passionné et curieux. Il ne ferait de mal à
personne, il assouvirait seulement son besoin de savoir, confronterait les
doutes qui s’étaient agrégés dans son esprit depuis le début de son noviciat
avec la réalité. Quel que soit le résultat, il s’en accommoderait. Mais il
saurait.
Les deux lunes étaient pleines ce
soir-là. Debout au bord de la falaise, il contempla leur reflet s’étirer sur la
mer de Desténil, plutôt calme malgré un vent continu. C’était sans doute la
dernière fois qu’il aurait l’occasion d’assister à pareil spectacle, mais cela
ne l’attrista nullement. Il se sentait bien, pénétré d’une sereine assurance,
celle de n’avoir jamais transigé avec ses convictions, ni même abusé de son
don. Il aurait pu, pourtant, à bien des reprises. Mais briller pour briller ne
l’avait jamais intéressé. S’il devait s’élever, comme il l’avait imaginé
enfant, c’était pour les autres, en faveur des autres, jamais à leur détriment.
Telle était sa vision du Principe, plus juste que celle assénée par les Hauts
Prêtres.
Fort de cette certitude, Vygoran
observa le ressac en contrebas. L’écume des vagues lui fit penser aux volutes
de fumée qu’il avait vues sur le tableau d’un peintre des temps révolus, un
anonyme dont il enviait le talent. Cette image en tête, il prit une longue
inspiration. Ses épaules se soulevèrent tandis qu’il se hissait sur la pointe
des pieds. L’impulsion fut gracieuse et tonique, le plongeon irréprochable.
Après une entrée dans l’eau sans remous ou presque, Vygoran se stabilisa et
s’autorisa un nouveau moment de contemplation. En plein jour, le récif de
corail qui s’étendait en dessous de lui illuminait le fond marin de couleurs
vives et chatoyantes, les bancs de djarpes virevoltaient en tous sens, d’un
côté puis d’un autre, sans but apparent, comme le font parfois les qasutes et
leurs larges ailes transparentes quand surviennent les changements de marées ou
de saisons. Mais en pleine nuit, traversée par les rayons épars des deux lunes,
la mer paraissait étrangement silencieuse et éteinte. Les tons chauds s’étaient
évaporés pour laisser la place à des dégradés de verts et de bleus, fluctuant
sous les assauts intempestifs d’un noir profond, incapable de s’imposer tout à
fait. Vygoran tourna plusieurs fois sur lui-même, lentement, profitant de la
sensation d’apesanteur. Enfin, résolu à passer à l’action, il replia subitement
ses jambes en arrière, les tendit à nouveau d’un mouvement vif et, comme s’il
s’appuyait sur un mur, se propulsa en avant, droit vers le Palais Principal.
Cette nuit, il allait donc commettre un crime horrible, impardonnable, le pire
d’entre tous. Étrangement, il n’éprouvait aucune crainte. Aujourd’hui, la peur
avait changé de camp. Les Hauts Prêtres ne l’auraient pas écarté de la sorte
s’ils n’avaient pas redouté son pouvoir, ce puissant pouvoir dont il avait
essayé tant bien que mal de camoufler l’étendue. S’ils en avaient aussi peur,
la raison n’en était pas moins limpide : ils cachaient quelque chose. Un
secret dont ils préservaient jalousement l’accès depuis plusieurs générations,
sans qu’il ne soit jamais remis en cause. Et lui, Vygoran, celui que l’on
surnommerait donc plus tard Vygoran l’éclaireur, lui, s’il n’en connaissait pas
la nature, savait où le trouver : dans les Disques-mémoire du Palais
Principal, sur les statues des Braves.
*
Il progressait si vite que les mivères
aux triples nageoires hachurées et autres animaux marins s’écartaient sur son
passage. Une fois franchi le plateau continental, il sombra plus profondément
encore, dépassa le glacis et la plaine abyssale avant d’atteindre enfin la
Grande Fosse, croisant alors poulombres, florèches, argousses et ficines
translucides, si lents par rapport à lui malgré leurs souples hélices épineuses
ponctuées d’yeux opaques. Contractant ses pupilles, Vygoran passa en vision
scotopique pour pallier le manque de luminosité. Cela lui suffit pour
apercevoir le frontispice du Palais Principal se découper sur la paroi rocheuse
en face de lui. Il s’approcha de quelques mètres, prudemment, puis
s’immobilisa. Il était si insignifiant face à ce monument colossal. Vygoran se
faisait l’effet d’une larve baignant aux côtés d’un dedjem des mers chaudes,
ces géants légendaires capables d’inverser, disait-on, le sens des courants
marins.
Aux aguets, le jeune amphibien eut
l’impression d’être observé. S’étaient-ils doutés qu’il viendrait ?
L’attendaient-ils pour écarter définitivement le danger qu’il représentait ?
Ou bien étaient-ils trop confiants dans la crainte qu’ils lui inspiraient
encore ?
Ces questions n’avaient pas lieu
d’être. Il était là, maintenant, incapable de reculer. Rien ni personne ne
pourrait l’empêcher de pénétrer dans le Palais Principal à cette heure tardive.
Son pouvoir y veillerait.
Sans qu’il sache ni comment, ni
pourquoi, les pistils de Vygoran lui ouvraient toutes les portes, débloquaient
tous les verrous, quels que soient leur nature. Il pouvait franchir n’importe
quel passage dont on avait restreint l’accès, mais aussi déchiffrer les trames
de n’importe quelle nacre, parcourir le contenu de n’importe quel
Disque-mémoire. Il en avait toujours été ainsi, et s’il n’en avait parlé à
quiconque auparavant, c’était uniquement parce qu’il redoutait d’être rejeté
plus qu’il ne l’était déjà. Il ne voulait pas attirer l’attention sur lui,
encore moins devenir une bête de foire.
Déjouer les codes des petites portes
de pierre barrant les entrées latérales du Palais ne lui posa aucun problème.
Cela lui sembla même trop facile. Son cœur cognait très fort contre sa poitrine
tandis qu’il parcourait la nef centrale, sous le regard des statues
représentant les Braves, disposées le long des arcades. Le centre de leur
Disque-mémoire émettait une lueur rouge intermittente qui nimbait le lieu d’une
aura inquiétante. Ils battaient à l’unisson, comme un signal d’alarme. Vygoran,
lui, y percevait l’expression d’un reproche. Qui était-il pour oser profaner
ainsi ce lieu sacré, percer le secret de ses ancêtres ? Pour autant, le
jeune amphibien ne chercha pas la réponse à ces questions, elles n’étaient que
les résidus d’un conditionnement pernicieux et retors, imperméables à sa
volonté.
Une fois Vygoran parvenu au niveau
de la première statue, celle du Brave Tuslan, ses pédoncules surgirent de son
dos, fourmillèrent tout en donnant l’impression qu’elles se répartissaient un
rôle avant de se déployer enfin jusqu’aux orifices de lecture et de s’y
connecter. Aussitôt, la perle à l’intérieur gagna en intensité, et la pulsation
de sa lueur se fit plus saccadée aussi. Vygoran ferma les yeux, pénétré par la
solennité de l’instant. Malgré le poids qui s’était écrasé sur ses épaules à
peine franchie l’enceinte du palais, il était prêt, prêt à explorer les racines
du Principe, à s’abreuver de son essence.
Jambes tendues, bras écartés, paumes
ouvertes, il flottait, comme en transe. Son corps apparaissait et disparaissait
sous les flashs lumineux des Disques-mémoire. Mais au bout de quelques secondes
seulement, l’expression de son visage s’auréola de perplexité. Il rouvrit les
yeux et ses trois pupilles dilatées pulsèrent d’un éclat ardent tandis que sa
poitrine se baissait et se soulevait sous le coup d’une émotion intense, entre
stupéfaction et colère. Répondant à une injonction instinctive, les pédoncules
s’arrachèrent au Disque-mémoire et s’accrochèrent immédiatement à celui de la
statue suivante, attirant le corps du jeune Forcide dans leur sillage.
L’opération se renouvela encore et encore jusqu’à tous les avoir parcourus. Ils
étaient tous vides.
*
Sans doute allez-vous me demander la
suite. Tout le monde me demande la suite. À vrai dire, il en existe plusieurs.
Mais comment savoir ? Comment réellement savoir ? Tellement de temps
s’est écoulé depuis… Regardez où se trouvent les ruines du Palais Principal sur
le tableau : non loin de la surface ; dans mon récit, il se situait à
des profondeurs insoupçonnées que seul un Forcide aurait pu franchir. Et dans
l’intervalle, l’ère glaciaire s’est imposée sur Cruvire… Alors forcément, quel
crédit apporter à tout ceci, n’est-ce pas ? J’en conviens, et, pour tout
vous dire, même les historiens sont divisés sur la question.
Certains affirment qu’une fois
découverts les pouvoirs de Vygoran, jamais les Hauts Prêtres ne l’auraient
laissé libre. Il représentait un trop grand danger, aussi l’auraient-ils
supprimé ou bien enfermé pour tirer profit de ses facultés. Ils auraient très
bien pu faire de lui un espion redoutable, même si cela supposait de le gagner
à leur cause. Or, dans tous les cas, connaissant ses pouvoirs, jamais ils ne
lui auraient permis d’accéder si facilement au Palais Principal, encore moins
aux Disques-mémoire. La théorie se défend, mais… je n’y crois pas.
Je crois davantage à une autre
hypothèse avancée par des historiens tout aussi éclairés, à savoir que Vygoran
est parvenu à prouver la trahison des Hauts Prêtres. Certes, cela ne se serait
pas fait sans difficulté, et certainement pas en un jour. Après sa découverte
de l’absence de Principe, le Forcide se serait enfui pour sillonner les mers et
raconter son récit à qui voulait bien l’entendre. À ceux qui doutaient de lui,
il aurait fait la démonstration de son pouvoir, déjouant les protections de
nacres auxquelles il n’était pas censé avoir accès. Alors le soulèvement aurait
succédé à l’incertitude et au trouble, au détriment d’un Principe de toute
manière illusoire.
On raconte aussi, et je terminerai
là-dessus, que Vygoran, à la veille de sa mort, aurait gravé son propre
témoignage sur un Disque-mémoire. On dit que cet objet aurait traversé bien des
marées depuis. Il s’agit du coquillage, là, devant vous. Seulement, jusqu’à
présent, personne n’est parvenu à le lire...
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